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Une envie de saumon ? Enquête sur le désastre sanitaire et environnemental de l’aquaculture

3 mai 2021

Hier, c’était un luxe, aujourd’hui il est accessible à tous. Il est le poisson préféré des Français. Nous parlons bien évidemment du saumon ! 

Son prix toujours plus tiré vers le bas reflète l’évolution de sa production au fil des dernières décennies.  Dans le monde, plus d’un saumon sur deux qui est vendu provient d’exploitations piscicoles. Il est donc très probable que le dernier morceau de saumon que vous avez dégusté provienne de l’aquaculture intensive.

Mais alors, est-ce toujours bénéfique de manger du saumon ?

 

Saumon sauvage, saumon d’élevage, quelles différences ?

L’élevage du saumon atlantique a été pendant longtemps controversé et son effet sur l’environnement est encore aujourd’hui au cœur des débats. Notamment à cause des effets de sa production comme la pollution locale due aux traitements chimiques ou encore la propagation de maladies sur les autres poissons.

La salmoniculture a vu le jour dans les années 1970 en Norvège et en Écosse. Elle avait initialement pour but de repeupler les rivières et fut finalement reconvertie en élevage. Aujourd’hui, la Norvège contrôlerait près de 90% de la production de saumon atlantique avec 650 fermes d’élevage réparties sur les 21 000 km de côtes du pays, soit un marché de 5,3 milliards d’euros, pour une production de plus de 1,4 million de tonnes.

Y a-t-il une grosse différence nutritionnelle entre le saumon d’élevage et le saumon sauvage ? Et bien tout dépend du type d’élevage, de l’environnement des poissons, des traitements donnés et de leur alimentation. Mais comme vous vous en doutez, le bilan nutritionnel d’un saumon sauvage peut-être bien différent de celui d’un poisson d’élevage.

Pour Pierre Calleja, docteur en biotechnologie des microalgues, le saumon sauvage contient habituellement bien plus de minéraux, comme le potassium, le zinc et le fer. A contrario, le saumon d’élevage est lui plus riche en gras, il possède légèrement plus d’oméga-3, et beaucoup plus d’oméga-6. De ce fait, il est généralement plus calorique que le saumon sauvage.

Un saumon sauvage ne peut être pêché qu’à quatre ou cinq ans. Pour les saumons d’élevage, les conditions sont tout autres, puisqu’ils passent d’abord un an en eau douce, avant de rejoindre des cages salés où ils grossissent pendant deux ans, alors que la moitié de l’alimentation des saumons est d’origine animale (dont détritus de la pêche, poissons morts ou trop petits).

Pour produire un kilo de poisson d’élevage, il faudrait l’équivalent de 4 kilos de poisson sauvage en nutriments (farine et huile). 

Une industrie en péril ?

Depuis les années 1980, la consommation de poisson a été multipliée par 3. Les stocks de saumons sauvages sont aujourd’hui très bas, voire critiques. Depuis les 30 dernières années, ils ont ainsi chuté de 75% dans l’Atlantique Nord. De nombreux facteurs sont à prendre en compte comme la pollution, la surpêche, mais aussi la détérioration de leur milieu naturel. 

Pour l’association WWF, repeupler les mers et les rivières de saumons sauvages permettrait de répondre à la demande toujours croissante : c’était d’ailleurs l’objectif initial de l’élevage de saumon dans les années 1960.

Mais rapidement, l’aquaculture est devenue une industrie d’élevage intensif comme les autres, avec les conséquences sanitaires et écologiques que l’on connaît. Bien que les pratiques aquacoles se soient globalement améliorées, des problématiques liées au rejet de grandes quantités d’excréments ainsi que de pesticides et d’antibiotiques demeurent.

Il est donc nécessaire de développer la pêche dite “durable” qui permettrait de pérenniser ce secteur. La WWF encourage les entreprises à améliorer leurs politiques d’approvisionnement et plus concrètement à commercialiser des poissons labellisés MSC et ASC. 

Ces deux labels sont censés garantir que les produits de la mer sont pêchés ou élevés dans le plus grand respect des personnes et de l’environnement.

Cependant, comment s’y retrouver une fois devant le rayon poissonnerie de son supermarché, tous les labels sont-ils bons à prendre, quels sont les risques en cas de consommation de saumon d’élevage ? 

Comment faire le bon choix ?

Sur quels critères devons-nous choisir notre saumon ? Label, couleur de la chair, comment faire le bon choix ? 

Il existe 7 variétés de saumons qui se retrouvent régulièrement dans nos assiettes et contrairement à ce que l’on pourrait penser, sa couleur n’est pas gage de bonne qualité. Il nous faut donc rechercher d’autres critères pour nous aider à faire le bon choix. 

Il existe une multitude de labels qui garantissent la qualité de votre saumon, que ça soit dans les rayons de votre supermarché ou encore chez votre poissonnier. Dur de s’y retrouver. Passons en revue quelques-uns de ces labels… 

Selim Azzi, chargé de projet pêche durable chez WWF France a répondu au Parisien sur cette question de label : « Bio(AB) : L’étiquette verte concerne l’élevage. Pour être bio, un poisson doit entre autres manger bio et n’avoir subi aucun traitement pesticide et/ou colorant. MSC (Marine Stewardship Council) : Son étiquette bleue s’applique aux poissons sauvages et garantit qu’ils sont issus d’une pêche durable. Son objectif, contrer la surpêche. »

Et le label Rouge ? «  L’étiquette garantit au moyen d’un strict cahier des charges une qualité supérieure. Seul hic : dans le cas du saumon d’élevage, ce label réclame que l’alimentation soit composée à plus de 50 % d’huile et de farine de poisson et donc il encourage la surpêche. » Cependant, malgré cela aucun de ces labels ne se préoccupe de la pollution des eaux liées à cette industrie. 

Dernièrement, WWF a pu féliciter le groupe Carrefour pour l’introduction dans ses rayons du label ASC (Aquaculture Stewardship Council). Pour l’ONG, ce label est le plus fiable et le plus exigeant, car il respecte des critères stricts : nourriture à base de poisson tracée et ne provenant pas de stocks victimes de surpêche, site adapté, taux de mortalité faible dans le cadre de l’élevage, qualité de l’eau et conditions de vie satisfaisantes pour les poissons, antibiotiques uniquement pour les animaux malades et sous surveillance vétérinaire…

Choisir un saumon ne serait donc pas un casse-tête, il suffirait de regarder les étiquettes. Mais est-ce si simple ? 

 

Le saumon, toujours un aliment santé ?

Même si un label est souvent signe de bonne qualité, il ne faut pas pour autant prendre ce signe comme acquis. En 2016, le scandale éclate et c’est le magazine français 60 millions de consommateurs qui en fait sa Une ! 

Tout commence après une analyse de 10 pavés de saumon et 15 saumons fumés de supermarchés d’origine Norvège, Irlande ou Ecosse, conventionnels et bio, avec label rouge ou certifié filière responsable.

On constate avec stupéfaction que certains saumons vendus avec l’étiquette Bio ont une plus forte contamination en métaux, comme le mercure et l’arsenic que les saumons d’élevage non bio. Cette présence s’explique par la nourriture donnée à ces poissons qui serait composée en partie de farines et d’huiles animales, issues de poissons sauvages susceptibles d’accumuler ces résidus. 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire l’alimentation du saumon bio se compose de farine de poisson et d’huile végétale (50/50) alors que le saumon issu de la pêche d’élevage non bio à un ratio 75% d’huile végétale et 15% de farine de poisson, cela explique ainsi les traces retrouvées dans les saumons bio. 

L’enfer est pavé de bonnes intentions : la volonté des éleveurs de saumon bio de proposer à leurs poissons un alimentation proche de celle du saumon sauvage s’est finalement révélée être une moins bonne idée que prévu : les petits poissons qui servent à créer les farines pour les croquettes des saumons bio sont contaminés, en amont, par la pollution du milieu marin. 

De plus, le magazine a trouvé des traces de dioxines et des PCB reconnus cancérogènes pour l’homme par le Centre International de recherche sur le cancer (Circ) ainsi que des perturbateurs endocriniens. Même si toutes ces doses ne dépassent pas les doses légales autorisées, il est légitime de se demander pourquoi ces saumons sont alors étiquetés bio.

Le saumon non bio n’est pas en reste puisque la chercheuse norvégienne Victoria Bohne a fait une étrange et inquiétante découverte : elle a trouvé des traces d’ethoxyquine dans le saumon d’élevage. L’ethoxyquine est un pesticide commercialisé par Monsanto en 1959, mais qui a été interdit en 2012. Cependant, aujourd’hui encore les industriels l’utilisent comme antioxydant dans le processus de conservation des farines de poisson. 

Une heure après avoir mangé du saumon, Victoria Bohne tire son lait maternel et décide de l’analyser. On y retrouve des traces d’ethoxyquine. Après des tests sur des rats, elle constate que ce pesticide traverse la frontière du cerveau. L’EFSA, l’Agence européenne de Sécurité des Aliments rend un rapport évasif sur le sujet puisqu’il évoque une substance probablement cancérigène, mais sans aller plus loin…

Un autre scientifique, Jérôme Ruzzin, chercheur en Toxicologie à L’université de Bergen a testé plusieurs groupes d’aliments vendus en Norvège et en effet, le saumon d’élevage contient la plus grande quantité de toxines.

Forcé de constater que dans l’ensemble, le saumon d’élevage est cinq fois plus toxique que tout autre produit alimentaire testé ! Lors d’études portant sur l’alimentation animale, les souris nourries au saumon d’élevage deviennent obèses, avec des couches épaisses de graisse autour de leurs organes internes. Elles ont également développé du diabète.

Mais alors, si l’on sait la gravité des conséquences de l’ingestion de ce pesticide, pourquoi aucune mesure politique n’est-elle prise ? Et bien, pour Martin Pigeon qui travaille pour l’ONG, Corporate Europe Observatory, les pouvoirs publics n’ont pas les moyens de faire aboutir et de lancer leurs recherches sur l’ethoxyquine, d’autant plus avec la puissance des lobbies du secteur. 

Malgré ces constats plutôt effrayants, pour les scientifiques, la qualité nutritionnelle du saumon reste réelle. Source d’acides gras essentiels (oméga 3 et 6) de bonne qualité, il contient également des vitamines A, B et D ainsi que des minéraux comme le calcium et le phosphore.

Pour le Figaro santé, il faut varier les espèces et diversifier les lieux d’approvisionnement. Et ce, dans le but de limiter la surexposition aux contaminants, mais aussi de couvrir nos besoins nutritionnels. 

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) recommande de consommer du poisson deux fois par semaine dont un poisson gras (saumon, sardine, maquereau…).

Vous voilà prévenus, même si depuis quelques années les conditions d’élevage sont bien meilleures, il est nécessaire de choisir avec précaution son saumon et de ne pas en abuser !

L’aquaculture intensive, un désastre environnemental

 

Voilà pour notre assiette. Mais pour la planète ? Plusieurs scientifiques alertent sur les conséquences environnementales de cette production industrielle de saumon ! 

Pour le docteur Pierre Calleja, un élevage à une échelle aussi massive n’est pas sans conséquences sur l’environnement, car il ne peut malheureusement pas se faire sans produits chimiques. Cette course sans fin pour une production toujours plus grande de saumon, conduit donc à une pollution des milieux marins qui détruit tout sur son passage.

Le saumon d’élevage norvégien est particulièrement montré du doigt. Reconnu depuis quelques années comme hautement pollué, il contiendrait plus de métaux lourds qu’un poisson naturel et serait aussi contaminé par un insecticide utilisé pour traiter les parasites : le diflubenzuron.

Cette substance est hautement toxique pour les organismes aquatiques. 

Kurt Oddekalv, un militant écologiste norvégien ne peut qu’aller dans ce sens, il parle même de catastrophe à la fois pour l’environnement et pour la santé humaine puisque « sous les fermes de saumon parsemées à travers les fjords norvégiens, il y a une couche de déchets de 15 mètres de hauteur, débordante de bactéries, médicaments et pesticides. Bref, tout le fond marin a été détruit, et puisque les fermes sont situées dans des eaux libres, la pollution de ces fermes n’est nullement maîtrisée. » 

La production d’élevage de saumon a donc des conséquences lourdes pour l’environnement. Illustration de cette catastrophe environnementale avec le cas chilien. Deuxième producteur mondial de saumon après la Norvège, avec environ 26% de l’offre mondiale. 

Enquête sur la production chilienne

En avril dernier, le monde entier a découvert la catastrophe environnementale qui se déroule au Chili. 

Comme nous vous l’avons écrit dans notre article « Voyage en Terre de Feu »  de février dernier,  la culture marine est centrale au Chili. Les côtes chiliennes qui s’étendent sur une longueur de plus de 5000 kilomètres recèlent d’une grande variété de produits de la mer. 

Cependant depuis quelques décennies, les élevages de saumon se multiplient un peu partout à tel point que le Chili est aujourd’hui l’un des plus grands pays aquacoles dans le monde après la Norvège. Le pays est passé en quelques années d’une pêche artisanale à la salmoniculture industrielle. En 2020, les exportations de saumon ont rapporté 4,4 milliards de dollars (3,7 milliards d’euros) au Chili.

Ce changement drastique des modes de pêches, d’un système artisanal devenu brutalement industriel, a eu de nombreuses conséquences sur l’environnement. 

De passage dans cette région pour notre expédition, le voilier Maewan s’est penché sur la question de l’élevage de saumon au Chili. Un documentaire est en cours de préparation et vous pourrez bientôt le découvrir sur vos écrans. Coïncidence malheureuse : quelques semaines après notre passage, une des plus grandes catastrophes dans le monde de l’aquaculture allait avoir lieu au Chili.

En effet, en avril 2021, ce sont plus de 5000 tonnes de saumons qui sont morts, victimes d’une algue tueuse répartie à travers 18 fermes du sud du pays, annonce le Service national chilien de pêche et d’aquaculture (Sernapesca). Une mortalité provoquée par la prolifération d’efflorescences algales nuisibles (HAB), qui viennent se loger dans les branchies des poissons et provoque leur mort par asphyxie.

Pour l’ONG Greenpeace, cet épisode dramatique est certainement imputable à la pollution produite par l’élevage de saumons et pas uniquement au changement climatique comme le prétendent les industriels chiliens du secteur. Pour Maurico Ceballos, porte-parole de Greenpeace « Avec la répétition de ce type de crise, l’influence de la pollution produite par l’élevage de saumons est indéniable. Il est prouvé que la présence d’ammonium et d’urée provenant de l’élevage de saumons dans des fjords fermés ou peu fréquentés peut exacerber les proliférations des espèces (d’algues) détectées». 

C’est donc un véritable drame écologique et sanitaire qui est en train de se dérouler au Chili. On peut donc se demander, combien faudra-t-il de drame comme celui-ci avant que les industriels passent véritablement à un mode de production plus durable ?  

 

D’ici 2023, 4 millions de tonnes de saumon seront consommées dans le monde entier. Cette prévision met en évidence que la consommation de ce poisson augmente à rythme constant et significatif. Il est donc primordial de repenser l’aquaculture et de retourner à l’essentiel puisqu’aucun label ne permet aujourd’hui de garantir un saumon sain élevé dans des conditions durables. 

 

Sources : 

https://www.wwf.fr/vous-informer/effet-panda/enfin-du-saumon-delevage-responsable-dans-les-rayons

https://www.leparisien.fr/societe/se-reperer-dans-les-labels-26-09-2016-6149887.php

https://pierrecalleja.fr/la-verite-sur-les-elevages-de-saumons/

http://www.ideemiam.com/actus/a-lire/saumon-bio-contamine-enquete-60-millions-consommateurs.html

https://www.sante-nutrition.org/saumon-delevage-lun-aliments-plus-toxiques-monde/

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